EXPO / Jean-Jacques Ceccarelli – Figures perdues de vue

Vernissage le vendredi 14 janvier 2022 de 18h à 22h
Exposition du 15 janvier au 19 février 2022

« Les habits » (2014), dont une partie significative est montrée à Territoires Partagés pour la première fois, est la dernière série de dessins menée par Jean-Jacques Ceccarelli, moment où il revient aux termes les plus simples et essentiels de sa pratique : le trait, la mine de plomb et le papier. Ceccarelli disait volontiers à propos de ses dessins de grands et moyens formats qu’il s’agissait beaucoup plus de séquences que de séries, mettant en cela l’accent sur une temporalité, un passage l’amenant du début d’une proposition à son apogée puis à sa dissolution. Il affirmait que ce qui le passionnait le plus n’était pas un dessin en lui-même mais ce qui se passait entre deux dessins. C’est particulièrement visible dans ce qui est présenté ici, où un motif cherche sa définition en même temps qu’il rencontre ses possibilités de métamorphoses. Jamais ce terme de temporalité ne sera plus cruellement approprié puisque c’est au moment de l’élaboration de cette série que l’artiste recevra le diagnostic de la maladie qui l’emportera, nous laissant devant la symbolique puissante de ces habits désertés dont on ne sait s’ils ne sont pas affectés sur la feuille par les mêmes glissements que des nuages ou s’ils ne sont pas en train de se dépenailler sous le coup d’un grand vent. Des habits nus donc, et qui ne courront pas après celui qui les a désertés, pas plus que l’épouvantail ne poursuit les corbeaux. Si la ligne, la courbe, la boucle et même l’arabesque existent dans le dessin de Ceccarelli, elles ne sont jamais aussi présentes que le trait, la hachure, la striure et tout ce qui, dans le dessin, rappelle le travail du graveur. En réalité, son dessin agit par plans, par facettes comme s’il désirait biseauter le blanc de la page et donner une sensation de volumes par étagements des surfaces, montrant en cela qu’il est beaucoup plus attentif à des sensations et des rendus d’espaces qu’à des descriptions figuratives. Ceccarelli s’est immédiatement retrouvé, dès les débuts de son œuvre et ses premiers dessins à l’encre de Chine, dans les années soixante, bien au-delà de la question de la figuration ou de l’abstraction, parce qu’il a immédiatement senti que le blanc du papier remontait de toutes parts pour contester la figure. Alors, même si les vêtements sont là de toute évidence, si l’œil du spectateur identifie immédiatement « les habits », c’est pour ensuite battre la campagne et suivre les évolutions d’un nuage en pantalons. La figure tend à s’évader, à éparpiller les facettes d’un corps au rassemblement impossible. Le dessin préfère mener des rythmes, des possibilités de mouvements où les blancs sont révélés. Ceccarelli disait de l’ensemble de ses dessins, toutes séries confondues, qu’il constituait un journal intime. Le spectateur n’ayant pas connu l’individu ne peut donc pas en détenir les clés, mais il perçoit aisément, si sa curiosité l’y pousse, la continuité de cette œuvre à travers ses thèmes récurrents, comme l’effacement et la disparition de figures spectrales qui persistent et subsistent en arrière-fond –dans le cas de cette exposition, ces silhouettes stéréotypées prises dans des poses-types… –. Quelques dessins de la séquence des « peaux » (1998) et de celle des « humeurs »(1998) marquent la permanence de ces figures inscrites en filigrane, presque d’une manière clandestine, dans ce qui apparait d’abord, en de vastes formats, comme de la gestuelle abstraite et tachiste. Nous avons tenu à choisir quelques exemples de la série des « peaux » et des « humeurs » pour exemplifier cette clandestinité de fantômes dans des dessins fortement incarnés par des matières et quasiment picturaux : « Les peaux » sont des flaques de brou de noix séché où le crayon tatoue ton sur ton des silhouettes n’apparaissant que grâce aux incidences de la lumière. C’est dans la chair de la croûte que la mine acérée inscrit le profil d’un personnage aussi neutre qu’un soldat de plomb planté dans des attitudes rigides qui sont des formes pures, presque des emporte-pièces. Ces personnages sont des fils conducteurs autobiographiques. Ils témoignent avec discrétion de la vie privée comme ils transportent la mémoire des œuvres passées, les premiers dessins de Ceccarelli s’appuyant sur des documents de guerre montrant des soldats dans différentes positions, de même ses premières peintures figeant son compagnon dans des postures corporelles quotidiennes tirées de leur contexte. Cecccarelli était passionné par la gestalt, c’est-à-dire par le moment où une attitude corporelle devient une forme pure. « Les humeurs », collage d’un large filtre pour préparation pharmaceutique recueillant un dépôt, nous amène à une même sorte de double lecture : des préparations médicamenteuses, des humeurs corporelles, des souffles, des haleines colorées, puis, revenu du fond, ce même personnage en ses versions diverses, révèlent ensemble une même alchimie. Les titres à la suite des séquences de cette période nous préviennent d’ailleurs de cette intimité : « Les peaux », « Les humeurs », puis la série suivante « Les philtres » (1999), comme on entend la sorcellerie amoureuse… Le dessin, pour Ceccarelli, représente la totalité d’une expérience de vie. Il l’a mené dans de nombreuses dimensions et selon de multiples fonctions : mail art, publications sur des supports divers, tracts, gratuits, bandes dessinées, croquis, plans géographiques, estampes diverses, ornements pour céramiques, partages avec des amis de livres d’artistes faits à quatre mains, six, et plus encore… Le dessin a été son véhicule et son fil conducteur en ne négligeant aucun de ses aspects et, bien sûr, dans une étroite complicité avec l’écriture comme en témoignent ses nombreuses collaborations avec des poètes… C’est pour cela qu’il faut regarder cette expérience totale comme la sédimentation d’une mémoire… Les dessins montrés dans cette exposition rassemblent les échos d’expérimentations techniques et matériologiques qui se tressent dans les différents moments de l’œuvre, rappelant à ceux qui admirent cet artiste le continuum d’enchaînements et d’emboîtements d’une extension, jusqu’à cet adieu dépouillé dans les habits trop larges du temps. »

Frédéric Valabrègue

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