Parcours de la Galerie Ambulante de septembre 2021 à juin 2022
Entretien avec Frédéric Clavère sur son projet d’exposition dans la galerie ambulante.
C’est quoi le portrait pour toi ?
Le portrait c’est une vieille fascination, c’est un genre en peinture qui est important dans
l’histoire de l’art. J’ai toujours été fasciné par le portrait, un des premiers portraits que j’ai
beaucoup regardés, l’autoportrait d’Ingres. J’étais vraiment émerveillé par ses peintures, c’est
un grand dessinateur.
Le portrait c’est un exercice de rencontre, de miroir, comme les portraits photographiques de
Nadar (écrivain caricaturiste, photographe français). C’est un peu comme un miroir avec une autre image que la tienne. Ce face à face m’intéresse
beaucoup. Ce projet est né un peu par hasard. En général dans mon travail, j’ai des procédés
l’élaboration, de construction d’images comme pour construire un film ou une scène de
théâtre.
A d’autres périodes, c’est directement l’image qui est le vecteur ou le moteur de la
photographie. Sur la série des portraits, je n’ai fait aucune transformation, aucune altération,
si j’avais une photo en noir et blanc, je peignais en noir et blanc, une photo en couleur, je
peignais en couleur, si c’était surexposé je peignais surexposé, si c’était plus réaliste, plus
détaillé, je peignais plus détaillé. Je me soumettais en quelque sorte à l’image, mais c’est
devenu pendant un temps comme une espèce de marotte à la fois j’interrogeais ma
mémoire, J’interrogeais ma mémoire et cherchais à la fois des photographies en lien. Après,
il suffisait qu’il y ait une photographie qui révèle pour moi un potentiel de peinture et hop, je
passais à l’action, je mettais le projet en peinture. Du coup, quand la série a commencé à
s’étoffer, ce qui m’intéressait c’était le jeu avec ma mémoire, ma mémoire individuelle. Je me
souviens des acteurs de second rôle qu’on voyait beaucoup à la télévision dans certains films
à une époque : telle tête m’était familière. Il y a rarement des gens très connus, je n’ai pas
fait Belmondo ou Alain Delon, c’est plutôt des seconds ou troisièmes rôles : le visage qui est
extrêmement familier mais on ne sait plus trop par exemple si je te dis Paul Le Person ? mais
si je te montre sa photo tu vas dire : oui je l’ai déjà vu cinquante mille fois, il jouait dans tel
feuilleton, tel film. Souvent c’étaient des gueules, ça m’intéressait beaucoup !
Comment arrives-tu à faire le parallèle entre un personnage qu’on va haïr par rapport à ses
actes, ses faits comme la femme d’un dictateur ? Ou un homme qui a contribué à une
extermination humaine, et un personnage plus sympathique comme Claude Piéplu ?
Parfois on le sait mais pas toujours, c’est ce qui m’intéresse dans les sales gueules, les
personnages peu recommandables, des dictateurs, des assassins. Dans le portrait on essaie
de deviner, de voir pourquoi. En fait c’est une question qui est toujours sans réponse, je peux
citer la banalité du mal d’Hannah Arendt. J’ai fait le portrait d’Eichmann, c’est cette espèce
de visage comme ça que tu interroges à l’infini. Tu sais ce qu’il a derrière, qu’il a signé des
papiers pour donner des ordres qui ont provoqué la mort de dizaines, de centaines de
milliers de personnes. Les montres n’ont pas de tête particulière comme les vrais monstres,
justement ils ressemblent un peu à n’importe qui. Est-ce que leur histoire finirait par
imprimer quelque chose sur ce visage ? La gardienne d’Auschwitz se trouve au milieu du mur
entre Picasso et les Poulbot, elle a cette espèce de regard interrogateur et en colère.
Elle ne comprend pas ce qu’elle a fait et jusqu’au bout elle a refusé de comprendre, le jour
de son exécution, elle a dit ”bon on y va, faites ça vite, qu’on en termine”. Elle donnait
encore des ordres à ses gardiens de prison.
Tu peux nous parler du portrait de Picasso, la femme qui pleure et de l’autoportrait de Van
Gogh. Pourquoi les avoir mêlés à tous ces portraits ?
C’est une chose que je fais assez souvent dans mes expositions, je me suis amusé à introduire
des copies, pas des faux, parce que ça n’a pas d’intérêt, ce n’est pas pensé comme des faux
au sens d’une imitation strict et frauduleuse, des fois je ne respecte pas le format. C’est un
peu comme si j’invitais des copains. C’est une espèce de blague, ça m’amuse d’exposer avec
Picasso.
J’avais fait un portrait de Marcel Duchamp à ma toute première exposition à Marseille, un
très grand portrait avec une perruque, mais une perruque plutôt à la Sheila, façon hit-parade
des années 70.
Est-ce que l’on peut dire qu’il y a une forme d’humour sur la façon dont tu vas aborder le
portrait, tu fais retomber une tension ?
Oui c’est un peu ça, c’est des rythmes, comme pour la mémoire de tout un chacun et comme
la vie. Tu passes d’un drame à un moment heureux, des choses qui peuvent t’arriver
personnellement, des choses drôles, étranges, insolites, bizarres. Ça peut être des gens que
l’on croise dans la rue.
Tu as parlé de la photo avec les portraits de Nadar. Pour toi ou se situe la frontière entre la
création d’un portrait en peinture et d’un portrait photographique ?
Moi, je fais de la photo en peinture.
Et tu te définis comme ça ?
Toutes mes peintures de portraits ou même dans d’autres aspects de mon travail, ce sont des
peintures à partir de photographies ou de documents photographiques.
On va aborder la technique, tu abordes ton travail peinture avec quelle matière ? La
peinture à l’huile ou acrylique ?
En fait je commence le portrait par une mise en place à l’acrylique avec quelques jus à peine
colorés, je mets en forme le personnage dans le format. Ensuite je travaille à l’huile parce
qu’elle me permet cette temporalité par le temps de séchage, et de rentrer un peu plus dans
les nuances de la chair. J’ai plus de mal dans la réalisation avec l’acrylique.
Tu mets combien de temps pour un portrait ?
C’est relativement rapide. Certains sont venus plus rapidement que d’autres. Elio Di Rupo
(homme d’État belge francophone, premier ministre de Belgique de 2011 à 2014), j’avais
adoré ce moment-là, en deux coups de cuillère à pot, il est arrivé, j’aime bien ce type. Car
pour d’autres ça peut prendre plus de temps. En gros c’est en deux séances. Une première
mise en place à l’acrylique, ça sèche très vite, ensuite je commence le travail à l’huile et
après je laisse passer un jour ou deux puis je finis le portrait. Il faut faire un temps de pause,
ne plus voir le tableau pour pouvoir revenir dessus avec un œil frais. Dans l’ensemble, c’est
rapide. C’est un peu une espèce de jeux de l’oie. J’installe les portraits dans l’atelier au fur et
à mesure que je les fais ; je les mets tout près les uns des autres un peu comme les cases
d’un jeu de l’oie. J’aime beaucoup les cases d’un jeu de l’oie, c’est un peu comme des petites
peintures.

