Parcours de la Galerie Ambulante de septembre 2023 à juin 2024
Entretien avec Anaïs Touchot
Questions de Stéphane Guglielmet
Par rapport au projet d’exposition dans la Galerie Ambulante, est ce que tu peux me dire comment tu as commencé à y réfléchir ? S.G
Tu m’avais parlé de ton envie de travailler sur le football féminin et à partir de là, j’ai commencé à réfléchir à ce que ce sujet pouvait m’inspirer. J’avais déjà fait un projet sur le foot et ce qui me plaisait, c’était l’idée de faire équipe, de faire communauté. J’avais créé un foot dans lequel les gens jouaient avec une bille de bois en portant des sabots. J’avais fait des t-shirts avec que des vieux mots type « chèvre », « semelle », « balle de plomb » qui ont des significations dans le monde du football, mais qui, pour des amateurs, n’ont pas beaucoup de sens. C’était un jeu qui était plutôt technique. Les personnes ne courraient pas beaucoup avec leurs sabots, le ballon faisait mal. C’était un peu du non-jeu. Je ne voyais pas comment adapter ce projet à la Galerie Ambulante puisque que je ne serais pas là pour l’animer et je ne voyais pas comment faire équipe avec des gens que je n’allais pas rencontrer.
Je me suis dont demandé ce qui me plaisait dans l’esprit d’équipe et que je pourrais projeter au foot féminin. L’idée qui est venue assez vite est celle de la sororité. Dans tous les mouvements d’équipes de football féminin, il y a cette notion de révolte, d’émancipation. Elles réclament d’être d’égal à égal, qu’il y est moins de sexisme, des stades comme il faut avec une belle pelouse… Il y a cette envie d’être ensemble et d’être peut-être moins individualiste que dans les équipes masculines.
Toutes ces idées m’ont fait penser que le projet pouvait être plus politique. Je ne voulais pas catégoriser les choses en disant « le football masculin, c’est comme ça et le football féminin, c’est comme ça ». Au départ, je voulais créer une boutique qui vendait du talent et qui s’appelait Ambition. Je voulais aborder le concept de la starification en se demandant pourquoi les femmes étaient moins considérées comme des stars que les hommes et je ne voyais pas comment je pouvais m’en sortir sans mettre d’un côté les femmes et de l’autre les hommes. J’ai laissé tomber l’idée.
Ensuite, ce qui me plaisait bien dans cette idée de sororité, c’est que les maillots sont souvent utilisés pour passer des messages. C’est aussi le cas chez les hommes, mais avec les femmes, on a des maillots avec écrit « Humain », d’autres avec le drapeau LGBT. Ça devient politique et j’avais alors pensé à repeindre des maillots et à en faire des drapeaux. Ils seraient présentés sur des mats, mais je trouvais cela un peu austère, surtout pour un public d’enfants. Du coup, je me suis dit que ce n’était pas encore ça.
Entre le processus de l’agence de talent et celui des drapeaux-maillots politiques, j’ai fait beaucoup de recherche sur la chasuble et je suis tombée sur l’histoire de Brandi Chastain. Cela reprenait bien l’intention politique, puisque c’était la première joueuse à enlever son maillot après avoir marqué un but. Elle se retrouve en brassière et là, tout le monde s’insurge. D’un coup, elle est hyper sexualisée alors qu’elle montre juste un corps d’athlète, musclé. Elle, au moment où elle le fait, elle ne le voit pas du tout comme un symbole, ce n’est pas du tout réfléchi. Ça a ensuite était récupéré. A.T

Surtout qu’il y a plein de championnes d’athlétisme qui courent en brassière ! S.G
Oui, il y en a plein. Tout le monde va à la plage, ce n’est pas très choquant. J’ai alors trouvé que cette photographie de Brandi Chastain était intéressante pour le projet, mais pas suffisante pour créer du sens. J’ai pensé au coup de boule de Zidane. Simplement le repasser en statue ou en peinture, est ce que cela suffit ? Je n’étais pas sûre de ça.
Quand je suis arrivée devant le camion, j’ai tout de suite eu cette idée de la caravane du tour de France. Je fonctionne beaucoup aux visions et à l’intuition. Ma deuxième vision a été celle de t’imaginer passer de places de villages en places de villages avec le camion et j’ai pensé au cirque. Celui qui revient tous les ans sur la place publique, qui doit être visible. Le cirque qui passe souvent en ville avec un mégaphone. J’ai pensé à ces animaux que les gens venaient voir dans les cages, cette idée de phénomènes de foires avec les personnes considérés comme des « freaks » comme les femmes à barbes…
Tout s’est connecté dans ma tête avec l’histoire de Brandi Chastain qui a été méga-utilisée, méga-animalisée. Son image a été sexualisée et elle est devenue une bête de foire. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire en la mettant, elle, au centre de ce cirque.
J’ai peint la silhouette de Brandi Chastain et je l’ai posé devant un mural qui reprend les couleurs rouge et blanc du chapiteau du cirque. J’ai ajouté de la paille qui rappelle cette idée de cage, d’animal. Brandi Chastain est devenue une égérie du féminisme, un symbole fort qui nous dit qu’on peut faire ce qu’on a envie ! Que nous aussi on en as ! Suite à son geste, il y a eu plein de couvertures de journaux. Il y en avait une avec marquée « Girls Rules » ! Ça m’a fait penser à la chanson de Beyoncé. C’est pour ça que j’ai eu envie de rajouter des fleurs dans la paille. Les fleurs qu’on donne aux athlètes à la fin du tour de France, que tu peux jeter en guise d’honneur.
Pour mettre en exergue ce côté cirque, j’ai voulu le décaler et ne pas avoir que l’image du chapiteau. J’ai eu l’idée de la bande son qui brouille un peu le sens. Tu ne sais pas si c’est du lard ou du cochon, dans quel sens il faut le prendre… Cette bande son reprend des commentaires sportifs dans lesquels je change de ton, je change certains mots, je peux mettre des ambiances différentes. J’aime bien pouvoir décaler un peu les choses. Avec cette grande silhouette, il y a aussi quelque chose d’hors-normes un peu comme l’homme le plus grand, l’homme le plus petit, la femme la plus grosse… Le fait que la différence est tout de suite stigmatisée. Dans ce projet on a la fois cette impression d’icone impressionnante et géante et à la fois ce truc de personne un peu différente.
Je tenais aussi à ce que le maillot soit un vrai maillot. Il y avait deux expressions qui me plaisaient beaucoup : « Mouiller le maillot » et « faire le pressing » qui est un geste technique au football, mais qui renvoi aussi au geste très féminin de la lessive. Dans son geste, elle mouille clairement le maillot en réalisant un geste super féministe qui porte beaucoup de valeurs. A.T
L’apport du poste, de la grenouille, tu peux nous en parler ? S.G
Oui, c’est la grenouille qui diffuse la bande son dans un poste-radio. Ça évoque le fait que les matchs féminins sont beaucoup moins commentés et retransmis que le foot masculin. Il y a moins d’intérêt que ce soit de la part de la presse, de la télévision et c’est pour ça que ce sport reste beaucoup décrié. Ils nous disent que le foot féminin n’est pas assez professionnel, qu’il ne rapporte pas assez d’argent. C’est une vision moins capitaliste. J’aimais bien que dans mon installation, il y ait cette idée de rediffusion qui amène les gens à venir jusqu’au camion.
La grenouille, je l’imagine un peu comme le narrateur de cette histoire, un peu comme le monsieur Loyal du cirque qui vient inviter les gens avec sa petite bouille gentille ! C’est la garantie confiance de l’installation. A.T
Pour la bande son, tu peux nous dire comment tu l’as construite ? S.G
Ce que j’ai fait, c’est que j’écoute avec une oreillette des commentaires sportifs et je les répète en simultané. A certains moments, je change un mot, je mets une bande son qui n’a rien à voir… A.T